La bataille sans fin de New York contre les incendies de batteries lithium-ion

La bataille sans fin de New York contre les incendies de batteries lithium-ion

Les 10 meilleures applications pour vélo en 2024 Vous lisez La bataille sans fin de New York contre les incendies de batteries lithium-ion 12 minutes

Devenue malgré elle le laboratoire du risque qu’elle subit, New York a dû apprendre à vivre avec les incendies liés aux batteries lithium-ion. Derrière les lois, les campagnes et les dispositifs installés dans la rue, la ville mène une bataille active et constante pour contenir le danger.

1 | L’alerte venue des chiffres

Entre 2019 et 2023, le nombre d’incendies provoqués par des batteries d’appareils de micro-mobilités (vélos, trottinette, hoverboard) à New York City a été multiplié par huit : 21 incidents en 2019, 268 en 2023, selon l’analyse d’Oxford Economics et de UL Solutions et FireRescue1

Sur la même période, les victimes (blessés et décès confondus) sont passées de 9 à 154.

Ces données, compilées à partir des enquêtes du FDNY Bureau of Fire Investigation et de la Consumer Product Safety Commission, ont mis en évidence une croissance exponentielle du risque lithium-ion dans l’espace urbain.

(Source : Oxford Economics / UL Solutions & FDNY Fire Incident Database)

Cette progression ne s’explique pas seulement par l’essor de la micro-mobilité. Elle reflète surtout la vulnérabilité des batteries lithium-ion, dont la stabilité reste difficile à garantir.

Un choc mineur, une mauvaise recharge ou simplement l’usure du temps peuvent suffire à déclencher un feu. Parfois, l’origine exacte demeure impossible à déterminer.

2 | Un danger urbain difficile à maîtriser

Les incendies impliquant des batteries lithium-ion sont d’une nature singulière. Lorsqu’ils se déclenchent, ils produisent de fortes flammes et peuvent se propager très rapidement à leur environnement immédiat. Dans une ville dense comme New York (tout comme Paris), cette rapidité rend chaque incident potentiellement critique : un feu localisé peut, en quelques instants, devenir un risque collectif pour l’immeuble tout entier.

Ces feux ne ressemblent pas à ceux que connaissent les services d’incendie depuis des décennies. Ils ne naissent pas d’une flamme externe, mais d’un phénomène interne d’emballement thermique : la batterie s’échauffe sur elle-même, libérant chaleur, gaz et particules inflammables. Une fois la réaction enclenchée, elle est difficile à interrompre.

Les extincteurs classiques ou les jets d’eau peuvent ralentir la combustion, sans pour autant neutraliser la cause chimique à l’intérieur des cellules. Les équipes d’intervention privilégient donc la maîtrise de la propagation et la sécurisation du périmètre, plutôt qu’une extinction immédiate.

Ce type de feu, à la fois rapide, violent et imprévisible, impose une vigilance nouvelle dans les environnements urbains.

Et c’est précisément cette spécificité; la difficulté à le maîtriser une fois déclaré, qui a conduit New York à s’intéresser à la source du problème : comprendre et mesurer le phénomène avant qu’il ne s’installe durablement.

3 | Mesurer avant d’agir : l’atout new-yorkais

La véritable force de New York n’a pas été d’agir plus vite, mais de quantifier plus tôt.

Dès 2019, le FDNY Bureau of Fire Investigation a entrepris de documenter chaque incendie de manière systématique : contexte, lieu, circonstances, conséquences.

Ce travail, consolidé avec UL Solutions et la Consumer Product Safety Commission, a permis de bâtir une base de données partagée qui alimente aujourd’hui les décisions publiques en matière de prévention. Grâce à cette démarche, la ville dispose d’une vision continue du risque : où, quand et comment ces feux se déclenchent, et quelles dynamiques les favorisent. C’est cette capacité à lire les tendances dans les chiffres qui a permis à New York de bâtir une politique d’action fondée sur des faits, et non sur des impressions.

En France, la situation est différente. Seule la police scientifique est habilitée à déterminer officiellement l’origine d’un incendie ; les pompiers, bien que premiers sur le terrain, n’ont pas cette qualification juridique. Les données collectées ne sont ni publiques ni exploitées à des fins de prévention.

En pratique, pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut se tourner vers la presse : les seuls chiffres accessibles proviennent des articles d’information, où l’origine “lithium” est souvent évoquée au conditionnel.

C’est pour pallier cette absence de transparence qu’Anod a lancé la plateforme carte.anod.com, un observatoire qui recense les incendies liés au lithium en France à partir de sources ouvertes.

4 | La décision : désamorcer avant la propagation

Face aux chiffres, la mairie, le FDNY et le Department of Consumer and Worker Protection (DCWP) ont élaboré un plan sans précédent.

Le 20 mars 2023, le maire Eric Adams lançait officiellement le programme

Charge Safe, Ride Safe

Un ensemble de lois et d’initiatives visant à endiguer le risque avant qu’il ne s’installe durablement.

4.1 – Informer et prévenir

La première réponse a été celle de la visibilité.

Dès 2023, la ville a investi dans une campagne de communication massive portée par le FDNY (budget d’environ 1 million de dollars). Déclinée en dix langues et diffusée dans les cinq boroughs, elle s’appuie sur des affiches, panneaux numériques, spots audio et QR codes renvoyant vers des fiches pratiques.

L’objectif est simple : ancrer la prévention dans l’espace public.

Des messages clairs, placés dans le métro, sur les bus ou aux arrêts de transport, rappellent les bons réflexes à adopter (par exemple ne pas laisser charger une batterie sans surveillance, ou utiliser un chargeur certifié). La campagne s’adresse à tous les habitants, car chaque immeuble, chaque logement, peut devenir le point de départ d’un incendie.

 

L'ensemble de la documentation et contenu créé est disponible sur le site du Fire Department of the City of New York

4.2 – Déplacer le risque : les infrastructures de charge publiques

Le second pilier du plan s’attaque à la principale source de danger : les recharges effectuées dans les logements, souvent à proximité de zones de vie.

En 2024, la ville a lancé le projet Safe Charging Accelerator, un dispositif d’armoires de recharge et d’échange de batteries installées sur l’espace public : trottoirs, places, pôles de mobilité, ensembles résidentiels. Ces infrastructures sont accessibles à tous : particuliers, livreurs, habitants des quartiers denses. Elles permettent de déposer une batterie dans un compartiment sécurisé équipé de capteurs de température et de tension, qui coupent automatiquement le courant en cas d’anomalie. Chaque station est surveillée et alimentée par le réseau ou par énergie solaire, selon les sites. Ce système doit être étendu à plus de 170 sites dans les cinq boroughs.

4.3 – Un cadre légal clair

Enfin, la régulation a permis de structurer durablement la prévention.

Avant 2023, la vente et l’usage des batteries lithium-ion échappaient largement à la surveillance des autorités : absence de certification obligatoire, contrôle limité des points de vente, traçabilité quasi inexistante.

Les Local Laws 39 à 43 ont marqué un tournant.

Elles imposent désormais :

  • des normes de certification (UL 2849, 2271, 2272) garantissant que les batteries et systèmes de charge répondent à des standards précis de sécurité électrique et thermique (résistance à la surchauffe, prévention du court-circuit, fiabilité des composants) ;
  • des obligations d’étiquetage et de traçabilité, permettant d’identifier l’origine et le niveau de conformité de chaque batterie en cas d’incident ;
  • et des pouvoirs d’inspection et de sanction pour le DCWP et le FDNY, afin de retirer du marché les produits douteux ou non certifiés.

Ces batteries non conformes n’étaient pas à l’origine de tous les incendies, mais elles ont contribué à aggraver la fréquence et la gravité des incidents observés depuis 2019. Leur retrait progressif du marché a permis de réduire la part des feux les plus violents, sans pour autant éliminer le risque global.

En un an, plus d’un millier de contrôles ont été menés, aboutissant à 46 convocations pénales et 16 fermetures temporaires de commerces.

Derrière cet arsenal réglementaire, l’objectif reste inchangé : empêcher la diffusion des produits instables et rétablir un minimum de confiance dans un marché devenu critique pour la mobilité urbaine.

5 | Les premiers résultats : une courbe qui s’inverse

Les chiffres témoignent d’une évolution nette de la situation.

Selon le FDNY, la ville a recensé 277 incendies liés aux batteries lithium-ion en 2024, contre 268 en 2023 ; le nombre de décès a, lui, chuté de 18 à 6, soit une baisse d’environ 67 %. (FDNY 2025)

Ces données traduisent une meilleure maîtrise du risque : les feux sont toujours nombreux, mais leur gravité décroît.

Quelques tendances fortes :

  • Incendies - 277 en 2024, contre 268 en 2023 : un ralentissement très franc
  • Décès - 6 en 2024, contre 18 en 2023 : baisse de 67 %.
  • Nature des feux - 133 incendies “non structurels” (hors habitation) contre 90 en 2023 : les consignes de charge hors domicile produisent leurs effets.

Au-delà des chiffres, la dynamique est surtout qualitative : la majorité des incidents sont désormais contenus avant propagation, signe que la réactivité du FDNY et les infrastructures publiques ont changé la donne. Le plan a également assaini le marché local : les détaillants sont tenus de vendre des batteries certifiées et de tenir un registre de conformité.

Les rapports du Department of Consumer and Worker Protection (DCWP) signalent une forte baisse des produits non tracés.

Enfin, le FDNY constate un changement de comportement : davantage de signalements via le 311, et plus de batteries déposées dans les points de collecte officiels; preuve que la pédagogie commence à s’ancrer dans les pratiques.

Ces évolutions ne marquent pas la fin du problème, mais une transformation de sa nature : les feux deviennent plus rares dans les logements, mieux maîtrisés dans l’espace public, et la chaîne de responsabilité s’organise.

6 | Pourquoi la stratégie new-yorkaise fonctionne

La force du modèle new-yorkais ne tient pas à une mesure unique, mais à une stratégie d’ensemble : observer, informer, réguler et adapter en continu. Chaque action renforce la suivante, formant une politique lisible et cohérente face à un risque diffus.

 

Étape

Objectif Mis en place par New York Enseignement
1. Observer avant d’agir Constituer une base continue d’incidents.

 

FDNY Bureau of Fire Investigation : fiches d’incident, classification par origine, partage avec UL Solutions et CPSC.

 

Observer tôt donne une longueur d’avance quand le risque s’intensifie.
2. Agir sur la connaissance du public Sensibiliser et diffuser des réflexes sûrs.

 

Campagne Charge Safe, Ride Safe : affiches/panneaux, PSAs vidéo et radio, QR codes vers fiches multilingues (10 langues), budget ≈ 1 M$.

 

La prévention fonctionne si elle est visible, continue et multilingue.
3. Déplacer le risque physique Éloigner charge/stockage des logements.

 

Safe Charging Accelerator et pilotes DOT : armoires de charge/échange (NYCHA, Con Edison, Newlab ; opérateurs Popwheels/Swobbee).

 

Mettre de la distance réduit la gravité et rend le risque gouvernable.
4. Réguler le marché Retirer les produits non conformes et tracer.

 

Local Laws 39–43 (2023) : normes UL 2849/2271/2272, étiquetage/traçabilité, inspections DCWP/FDNY.

 

La traçabilité est une mesure de sécurité… et un outil de marché.
5. Mesurer et ajuster Suivre l’impact et corriger la trajectoire.

 

Bilan 2024 FDNY : 277 feux (vs 268 en 2023), 6 décès (vs 18), hausse des signalements 311 et des feux hors habitation.

 

L’évaluation régulière permet d’ajuster les moyens et de prouver l’effet.
6. Recycler (boucler la chaîne) Empêcher les départs de feu dans le bac, les camions ou les centres de tri.

 

DSNY : interdiction de jeter les batteries rechargeables, points de dépôt “Special Waste” et SAFE Disposal Events ; loi d’État obligeant les commerçants à reprendre les batteries (Call2Recycle). + Mise en place d’un trade-in municipal pour remplacer les appareils/batteries dangereux.

Le recyclage n’est pas un “plus” : c’est une barrière incendie en bout de chaîne. Sans lui, les feux se déplacent jusque dans les déchets.


7 | Conclusion : anticiper l’instabilité

New York a engagé des moyens considérables pour freiner la progression des incendies liés aux batteries lithium-ion : campagnes massives, législation sur mesure, infrastructures publiques, contrôles renforcés. Ces efforts ont permis de limiter le nombre de victimes et de mieux maîtriser les situations d’urgence.

Mais le cœur du problème demeure : le risque n’a pas disparu, il a simplement été mieux encadré.

L’expérience new-yorkaise rappelle qu’il ne suffit pas de constater les progrès de la mobilité électrique ; il faut en affronter les conséquences. Chaque ville, chaque acteur industriel, chaque utilisateur porte une part de cette responsabilité.

Il est désormais de notre rôle, en tant que concepteurs, fabricants et régulateurs, de trouver des solutions qui permettront, aussi vite que possible, d’offrir la même liberté de mouvement que la mobilité électrique a rendue possible, tout en protégeant ceux qui l’utilisent.

C’est à cette condition seulement que l’innovation cessera d’être un risque subi pour devenir un progrès maîtrisé.

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